La connaissance limitée de la langue du pays d’accueil est un frein à l’accès aux droits et aux soins des personnes migrantes.
Si les difficultés à s’exprimer et à comprendre des migrants pèsent sur leur capacité à s’informer et à s’orienter, elles affectent aussi la qualité de l’écoute, des appréciations, des réponses et des évaluations des professionnels du travail social et de la santé. En effet, l’accueil, l’accompagnement, les soins et l’aide proposés aux personnes migrantes risquent d’être moins pertinents et moins efficaces lorsque ces dernières ne sont pas francophones.
Ces constats sont ressentis par les migrants, observés par de nombreux professionnels, et également confirmés par différentes études internationales ; les politiques publiques de cohésion sociale et de santé en tiennent compte dans quelques-unes des régions françaises, et favorisent la mise en œuvre de services d’interprétariat professionnel.
Cependant, face à ces problèmes de communication, pour des raisons de facilité, d’urgence, ou encore de « coût », les professionnels de la santé et du travail social recourent majoritairement à des interprètes dits « de proximité » : parents, amis ou voisins, ceux-ci ont parfois une connaissance sommaire du vocabulaire, dans une langue ou dans l’autre, et – du fait des relations qu’ils ont avec les usagers – éprouvent des difficultés à transmettre les informations, surtout lorsqu’elles ont un caractère de gravité et/ou de confidentialité.
Les risques d’inexactitude de la traduction, d’omission de certains propos, de rajout de commentaires personnels et le manque de recul peuvent avoir des conséquences lourdes. Sur le plan administratif et social, ces interventions approximatives participent à l’incompréhension des procédures et à une perte de temps pour ce qui est de l’accès aux droits ; dans le registre médical, elles conduisent plus particulièrement à une mauvaise interprétation des symptômes, entraînant des diagnostics erronés et des traitements inappropriés.
Ces écueils sont méconnus, ou encore sous-estimés par les acteurs professionnels et les institutions.
Une des raisons en est très certainement l’absence de lisibilité du « métier » d’interprète médical et social. Les fonctions à occuper sont complexes et fortement éloignées des représentations de serviabilité intra-communautaire, d’accompagnement complaisant, ou de conseil éclairé, que peuvent en avoir certains. Elles requièrent des connaissances, des techniques de travail, le respect d’un cadre éthique, des capacités d’analyse des enjeux communicationnels et des aptitudes interrelationnelles exigeant une sérieuse formation et des normes de pratique partagées.
C’est la raison pour laquelle, un des objectifs de ce colloque sera de présenter et discerner les responsabilités (fonctions et compétences) de l’interprète médical et social qui l’engagent en tant que professionnel à sa place d’interface entre des personnes non francophones et des acteurs du travail social et de la santé.
Mais la méconnaissance du métier ne peut expliquer à elle seule l’écart durable entre, d’une part, le constat des freins à l’accès aux droits et à la santé que peut constituer l’intervention d’interprètes de proximité et, d’autre part, la persistance de leur sollicitation dans la pratique.
On ne peut d’ailleurs se limiter à relever les risques majeurs cités plus haut – qui ne sont pas des moindres et qui ont un coût économique – sans interroger les enjeux éthiques et les choix politiques qui sont faits. Des fonctionnements systémiques et individuels sont à analyser. Comment est questionnée la déontologie professionnelle lorsque la confidentialité des propos tenus n’est pas respectée, ou lorsque le consentement éclairé des personnes n’est pas recueilli ?… Comment alors, si la fiabilité de la traduction n’est pas garantie, peut-on assurer aux personnes leur place de sujet autonome et responsable, légitimement aptes à décider pour eux-mêmes?
Ces questions de posture professionnelle mettent à mal assurément le principe d’égalité de traitement et toute politique d’intégration.
Aussi, parallèlement à la présentation du métier d’interprète médical et social, le colloque s’attachera à analyser les résistances comme les leviers pour la mise en œuvre de stratégies de coopération, à la fois de la part des acteurs du travail social et de la santé autant que de la part des institutions, pour communiquer avec les migrants par le biais des interprètes professionnels.
Trois questions nous permettront de penser (analyses et perspectives) la problématique du colloque :
- Comment les compétences (traduction orale, attention interculturelle et capacité de distanciation) de l’interprète médical et social témoignent de sa responsabilité professionnelle ? Comment leur identification renforce-t-elle son positionnement ?
- Comment sensibiliser les acteurs professionnels des domaines de la santé et du travail social aux enjeux de la traduction et à la place de l’interprète médical et social ? Comment concevoir cette collaboration professionnelle ?
- Comment – en actant une place officielle à l’interprétariat médical et social professionnel – les institutions garantissent et renforcent la qualité des services et le principe d’égalité de traitement ? Comment les inciter à s’engager dans cette démarche éthique et responsable ?